Une délivrance providentielle

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C’était en 1793, l’époque la plus sombre de la Révolution française. Les condamnés de tous ordres étaient emmenés en masse dans les prisons, où ils allaient attendre leur sort, c’est-à-dire, leur tour de passer sous la guillotine. La terreur régnait à l’extérieur comme à l’intérieur des prisons.

Dans l’une d’elles, un vénérable ecclésiastique, l’abbé Sicard, demeurait calme et tranquille, et employait son temps à encourager et à consoler les esprits affolés. Tous, groupés autour de lui, écoutaient ses paroles réconfortantes qui leur faisaient envisager une vie éternelle dans les cieux auprès d’un Sauveur qui les aimait et où les souffrances seraient oubliées.

Un jour, on entendit des cris, des mots malveillants, le roulement des charrettes, des clefs grinçant dans les serrures, des barres de fer enlevées, et finalement la porte s’ouvrit. Les prisonniers pâlirent. Un garde national s’avança sur le seuil de la porte, sortit de sa poche la liste des malheureux qui devaient sortir, puis monter sur les charrettes. Ils partirent silencieusement. Les rangs des condamnés s’étaient considérablement éclaircis et la liste paraissait épuisée. Quelle consolation pour ceux qui étaient encore présents : le digne ecclésiastique demeurait !
Non, la liste n’était pas épuisée ; le garde était arrêté, sur un nom qu’il s’efforçait d’épeler.  » Abbé Sicard « , finit-il par prononcer d’une voix forte. Un cri d’effroi s’échappa de la bouche de ses compagnons qui cherchèrent instinctivement à l’entourer et à se serrer contre lui. L’abbé s’arracha à leurs embrassements et sortit courageusement. Le garde, qui le vit marcher, ne put s’empêcher de sourire. Ce que personne n’avait remarqué, une chose à laquelle l’abbé lui-même n’avait prêté aucune attention, c’est qu’il n’avait qu’un pied de chaussé. L’homme le lui fit observer en riant. Se voyant dans une tenue aussi ridicule, l’abbé demanda l’autorisation d’aller chercher sa botte oubliée ; mais ses recherches, malgré sa bonne volonté, demeurèrent vaines. Le garde impatienté, anxieux de voir s’écouler le temps qui lui était imparti, hurla d’une voix rauque : « Restez et continuez à chercher votre botte, je vous prendrai demain ».

Le garde ne revint plus à la prison, d’autres lui succédèrent qui ignoraient tout de l’aventure de l’abbé. Celui-ci fut oublié mais il continua jour après jour à consoler et à préparer à la mort les malheureux qu’on ne cessait d’amener. Lorsque ces atrocités prirent fin, l’abbé fut libéré. Il ne cessa de louer Dieu de l’avoir préservé de la guillotine, et d’avoir pu exercer son ministère de paix et de salut auprès de ces victimes de la méchanceté des hommes.
L’abbé Sicard, dont ce récit fait mention (1742 – 1822), fut un célèbre éducateur des sourds-muets, le premier qui, avec l’aide de l’abbé de l’Epée, créa pour eux un système rationnel d’éducation. On lui doit un Catéchisme des sourds-muets et La journée chrétienne d’un sourd-muet. Lorsqu’il fut arrêté et condamné à mort, les sourds-muets, ses élèves, présentèrent une pétition à l’Assemblée nationale, qui demandait la liberté de leur père et bienfaiteur, mais la Commune de Paris refusa de prendre cette requête en considération.

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